Dans le corridor juridique de la Cour d’appel fédéral « CAF », il y a un appel d’une importance capitale en matière de taxe indirecte. Le fil conducteur d’une ambigüité fiscale est désormais court-circuité vers l’affaire du Docteur Kevin L. Davis, un orthodontiste de la grande région de Toronto. L’enjeu pour le dentiste, ainsi que pour ses collègues qui sont membres de l’Association Dentaire Canadienne (ci-après « ADC ») sont des flux de trésoreries pouvant atteindre jusqu’à 35% de la valeur estimative/réalisé d’un traitement orthodontique.

L’équivoque fiscale dans l’affaire Davis est la qualification du type de fourniture à utiliser, qui peut être qualifiée selon la loi de la taxe d’accise (ci-après « loi »), soit d’une fourniture unique ou multiple. En orthodontie les fournitures multiples peuvent donner droit à des crédits de taxe à l’intrant (ci-après « CTI »). Les CTI sont des crédits monétaires, en TPS/TVQ, que votre professionnel dentaire peut recevoir par suite d’un service ou des achats de biens d’appareils orthodontiques (ci-après « broches »).

Considérant le contexte historique spécifique aux dentistes, comment sommes-nous arrivés à ce cul-de-sac avec les autorités fiscales ?

L’accord

De façon générale, il peut exister une ambiguïté légale lorsque nous sommes en présence d’une fourniture multiple. L’ambiguïté réside dans le fait que la loi qualifie, d’une manière différente, les deux étapes nécessaires au service orthodontique.

Plus spécifiquement, la loi dans ses annexes statue que les CTI ne sont pas admissibles sur un service médical orthodontique. Ensuite, pour ce qui est des achats de biens, qui sont nécessaires à la pose de broches, la loi nous instruit que celles-ci sont admissibles à des remboursements en matière de CTI. Lorsqu’il y a des dispositions de la loi qui entrent en conflit, il faut déterminer si nous pouvons les faire fonctionner ensemble d’une manière cohérente.

Dans cette optique, nous avons été témoins en 1991 a d’une entente administrative entre ADC et l’Agence du revenu du Canada (ci-après « ARC »). Dans cette perspective, les deux organismes en question se sont entendus pour rectifier l’équivoque fiscale et selon le passage de cette entente, des CTI sont accordés lorsque les conditions de cette entente étaient respectées.

Le bénéfice pour les orthodontistes d’adhérer à celle-ci est l’application d’un pourcentage discrétionnaire d’un maximum de 35% à ses activités d’entreprise orthodontique. Le pourcentage a pour fonction de cingler et isoler la portion des CTI qui sont remboursables et ceux qui ne le sont pas. En simple, un dentiste qui est spécialiste en orthodontie est autorisé d’encaisser un CTI jusqu’à un pourcentage de 35 % du prix total d’un traitement orthodontique.

Le « Réveil »

Considérant le principe éloquent du paradoxe de l’œuf et de la poule en ce qui concerne les fournitures multiples, cet imbroglio a créé une différence d’opinions entre nos deux agences fiscales, soit Revenu Québec (ci-après « RQ ») et L’ARC.

Pour ce qui est de la position de RQ, celle-ci a toujours été la même, et ce, depuis plusieurs années. Par ailleurs, malgré l’entente administrative entre ADC et L’ARC, RQ a toujours été de l’opinion qu’un service médical orthodontique, ainsi que la pose de « broches » sont simplement une fourniture de service unique. Selon la ligne de tir de RQ, il n’est pas possible pour les dentistes de réclamer des CTI sur leurs fournitures uniques, car elles sont simplement la continuité d’un service orthodontique complet.

Conjoncturellement, après quelques années, il eut de la part de L’ARC une prise de conscience, un déclic et une renaissance complète de sa position d’une fourniture multiple en orthodontie. En prenant un certain recul, L’ARC a fait volte-face et a complètement changé son fusil d’épaule. Par conséquent, L’ARC s’est finalement aligné avec la position de RQ qui statue qu’un service orthodontique est effectivement une fourniture unique.

Dans la même veine, les vérificateurs de L’ARC ont commencé à appliquer, d’une manière pancanadienne, leur nouvelle position, soit celle d’une fourniture unique. Pour y arriver, ceux-ci ont envoyé des avis de cotisations à plusieurs membres de L’ADC et donc, comme vous pouvez imaginer, une panique s’est installée dans le milieu de la dentisterie. Au Québec, contrairement aux autres provinces, RQ n’a pas cherché en exergue la nouvelle position de L’ARC.

À Présent, un processus jurisprudentiel est nécessaire pour réconcilier et qualifier le type de fourniture que les professionnels de la dentisterie peuvent utiliser dans le cadre de leur pratique. Cela dit, comment sommes-nous immigrés vers cette éventuelle finalité en taxes indirectes ?

Le fil conducteur

La trilogie a ce qui a trait aux affaires Singer, Hurd et Davis ont le même fil conducteur, soit celui de la clarification, de la qualification ou pas, d’une fourniture multiple dans un contexte de pratique médicale en orthodontie.

Dans l’affaire du Docteur James Singer, celui-ci était un dentiste qui fournissait des dents artificielles. La problématique d’une fourniture multiple est aussi indissociable aux dentistes qui font des dents artificielles. Dans cette affaire, l’appel du docteur Singer a été rejeté, car celui-ci n’est pas venu à sa propre audience. Toutefois, le juge Bowman a statué, quoiqu’en obiter dictum, que le ministre avait eu tort de soutenir que le service d’une pose de dent artificielle est inadmissible aux CTI.

Pourtant, dans l’affaire du Docteur Brian Hurd, la juge Diane Campbell est venue à une conclusion diantrement opposée. Selon elle, les broches et le service médical d’orthodontie doivent être combinés et fournis ensemble. C’est-à-dire, que nous sommes en présence d’une fourniture unique qui est non-admissible aux remboursements monétaires en CTI.

Finalement, ceci nous apporte à l’affaire du Docteur Kevin Davis en 2021. De prime d’abord, le Docteur Davis n’a pas suivi la politique administrative suggérée par L’ARC; celle-ci permet de qualifier le service orthodontique d’une fourniture multiple. Certes, ceci a ouvert la porte pour les vérificateurs de L’ARC et conséquemment, le ministre a évoqué qu’il était de l’opinion que nous soyons en présence d’une fourniture unique.

L’Honorable Susan Wong a complètement rejeté l’argument d’une fourniture unique. Selon elle, la loi est non équivoque, claire et précise. En surcroit, elle a même rajouté qu’il était futile d’utiliser et considérer des tests jurisprudentiels dans cette instance.

En somme, jusqu’à nouvel ordre, l’entente administrative est applicable et respectée par les autorités fiscales. C’est-à-dire, les dentistes peuvent adhérer à la politique administrative de L’ARC pour réclamer des CTI sur leurs services orthodontiques. Comme éludé dans mon introduction, la décision est en appel et il peut y avoir changement de sa politique administrative à n’importe quel moment.